On-line dispute resolution : un nouveau départ ?

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Civil - Procédure civile et voies d'exécution
08/04/2019
Le constat est bien connu : l’arbitrage et la médiation en ligne ne se sont pas encore imposés comme un moyen efficace de recouvrer des factures impayées, de solutionner un litige commercial ou un dissensus sur une création immatérielle. Des modes de règlement extrajudiciaire qui pâtissent de craintes plus ou moins fondées et d’une mauvaise appréhension de ce que sont ces solutions. Et si l’heure était au changement ? Le point sur les freins et les pistes.
« Il ne paraît pas déraisonnable de penser que l’arbitrage en ligne a une réelle vocation à croître à l’avenir, permettant de régler plus rapidement les petits litiges de la vie quotidienne, aussi appelés contentieux de masse » relève le dernier rapport du Club des juristes (Le Club des juristes, L’arbitrage en ligne, rap., avr. 2019, p. 44). Certes, pour les plaintes d’un montant faible, une tendance à faire de l’arbitrage en ligne une nouvelle déclinaison de la relation client se dégage nettement (v. la solution d’arbitrage en ligne proposée par Ebay ou Cisco, Le Club des juristes, L’arbitrage en ligne, rap., avr. 2019, p. 43).
 
Mais quid du contentieux BtoB ? Là, force est de constater que les choses progressent beaucoup moins vite. Et si plusieurs acteurs en France (comme eJust ou FastArbitre ; pour un recensement de ces acteurs, v. Le Club des juristes, L’arbitrage en ligne, rap., avr. 2019, p. 33) se sont lancés et proposent des solutions pour simplifier et accélérer le règlement de différends, les entreprises n’affluent pas vers ces plateformes.
 
Le paradoxe : une solution plébiscitée, mais jusqu’ici peu utilisée
Depuis de longues années, les modes alternatifs de résolution des différends sont présentés comme une solution efficace pour sortir de certaines impasses, en évitant d’aller plaider son dossier en justice. Sans que la greffe ne prenne. Les entreprises qui reprochent à la justice sa lenteur sont, en réalité, pour tout un ensemble de raisons, peu enclines à recourir à la résolution extrajudiciaire de leurs différends.
 
En Europe, 350 milliards d’euros de litiges ne sont pas adressés (Enquête Intrum Justitia, 2013). Et c’est précisément ce volume de contentieux que vise cette plateforme.
 
Concrètement, les litiges visés portent sur le droit commercial, le droit des sociétés, la propriété intellectuelle, le recouvrement de créances, la rupture de relations commerciales, etc.
 
Pour bon nombre d’entre eux, les montants en jeu ne sont pas suffisants pour aller porter le contentieux en justice. Pour autant, ils sont une source de revenus en moins pour les entreprises.
 
Afin de faciliter le recours à la médiation ou à l’arbitrage, des acteurs ont donc développé des plateformes qui dématérialisent les procédures extrajudiciaires et les rendent plus accessibles. Ce qui fait dire à Anne-Sophie Reynaud, CSO d’eJust, que « ce type d’outil va permettre de traiter des dossiers qui ne sont généralement pas adressés aux tribunaux pour des raisons de temps et de coûts évidents. De facto, il ne s’agit pas de déjudiciariser mais au contraire de rejudiciariser les litiges que les entreprises renoncent à porter devant la justice ».
 
La crainte de la sentence arbitrale algorithmique
C’est un chiffon rouge agité dès lors qu’est prononcé le mot « algorithme » à proximité du mot justice : la dépossession de l’humain au profit de la machine. Un débat loin d’être dépassé. La crainte, c’est l’avènement d’une « justice algorithmique », qui conduirait des lignes de code à remplacer tout simplement l’arbitre humain.
 
Et si un algorithme "intervient" dans le processus, comment garantir la compétence de l’arbitre, la confidentialité des échanges et le respect du contradictoire, qualités essentielles dans tout arbitrage, et ce à toutes les étapes de la procédure (constitution de l’instance arbitrale, déroulé de l’arbitrage, rédaction de la sentence et son exécution) ?
 
Des craintes qui renvoient à la nécessité de mettre en place un cadre, qui permette de garantir un socle éthique minimum et de la transparence. Le rapport du Club des juristes relève ainsi que « la recherche d’équivalents fonctionnels permettant d’assurer le respect des valeurs essentielles de l’arbitrage (…) suppose la mise en place de multiples procédures de contrôle qui doivent être conçues et développées » (v. Le Club des juristes, L’arbitrage en ligne, rap., avr. 2019, p. 70).
 
Les propositions de ce rapport
– affirmer un principe de prévalence de la décision humaine sur la décision algorithmique propre à garantir l’existence d’un droit au recours à une solution rendue par des personnes humaines ;
– limiter l’intervention de l’intelligence artificielle dans la résolution du litige à la quantification du dommage ;
faire peser sur l’arbitre et sur le centre d’arbitrage y ayant recours, une obligation de révélation de l’utilisation d’un algorithme dans le traitement du litige ;
– assurer un droit de recours devant une personne humaine contre une décision rendue au moins partiellement par voie algorithmique (la Cour de cassation pourrait se doter d’un pôle « intelligence artificielle » et assurer ainsi ce contrôle) ;
– imposer une obligation de révélation, à la charge du concepteur de l’algorithme, de l’existence et des modalités de l’algorithme lui-même ;
– imposer que l’utilisation de l’intelligence artificielle dans le traitement d’une procédure arbitrale ne dispense pas le tribunal arbitral de son obligation de motiver la sentence.
Le Club des juristes, L’arbitrage en ligne, rap., avr. 2019, p. 134
 
Faire progresser l’arbitrage grâce à des ambassadeurs : les avocats
Alors que FastArbitre vient de décider de diffuser en open source son algorithme (v. Une legaltech opensource son algorithme, Actualités du droit, 4 avr. 2019), l’un de ses concurrents, eJust, développe pour sa part une autre approche.
 
Cette legaltech propose un outil technologique (un site web encodé, cryptant les informations, alliant plusieurs technologies, sécurisant et organisant les échanges entre les parties opposées par une procédure structurée), qui respecte un cadre légal précis. Avec deux usages :
  • permettre à des particuliers et des entreprises de mener des procédures en ligne de bout en bout ;
  • proposer une dataroom pour organiser, gérer et sécuriser les échanges de données en ligne (utilisée par les centres de médiation et d’arbitrage, les médiateurs ou les entreprises).
Partant du constat que mettre à disposition une plateforme, aussi performante soit-elle, ne suffit pas à orienter les entreprises vers ce type de solution, eJust et Eurojuris, un réseau d’un millier de professionnels du droit en France, viennent de conclure un partenariat, rendu public le 26 mars 2019.
 
Son objectif : mettre à disposition en marque blanche, aux avocats et huissiers membres de ce réseau, la plateforme d’eJust, en mode SAAS (software as a service), baptisée madecision.com, pour qu’ils l’incarnent et deviennent des ambassadeurs de la résolution extrajudiciaire des litiges auprès de leurs clients (principalement des indépendants, TPE/PME). Les litiges visés portent sur des montants allant jusqu’à 500 000 euros (les frais en dessous de 10 000 euros s’élèvent à 990 euros HT et à 14 990 HT entre 200 001 et 500 000 euros).
Pour Sophie Clanchet, présidente du réseau Eurojuris France, « madecision.com est une solution qui permet d’adresser un besoin auquel on ne peut pas répondre actuellement. Elle allie deux atouts indissociables : la compétence de ses experts, tous issus du réseau Eurojuris France et une technologie de pointe développée par eJust, acteur de la legaltech ».
 
L’idée, ce n’est pas de se passer des avocats mais de leur fournir un outil pour les aider à encourager le recours à la médiation et à l’arbitrage. Une plateforme conçue pour être intuitive et faciliter l’expérience des entreprises et de leurs avocats, tout en garantissant la confidentialité des échanges et leur sécurité (les échanges sont cryptés).
 
Ce que permet cette plateforme
– une mise en relation avec des arbitres/médiateurs ;
– un parcours dématérialisé qui permet de centraliser les pièces et de gérer les échanges ;
l’économie du coût d’une procédure ;
– un gain de temps par rapport à une procédure judiciaire.

Les parties, avocats, arbitres et clients conservent leurs rôles respectifs. Ce qui change, c’est la centralisation et la gestion de la procédure via la plateforme, qui va de la mise en relation jusqu’à la signature de la sentence (brique YouSign).

Pour Benjamin English, associé chez Avril&Marion et responsable du Lab Eurojuris, « la technologie doit être au service de l'intelligence humaine. Aussi, et pour couper court à tous les fantasmes autour de ces questions, sur madecision.com les médiations et les arbitrages sont conduits par des professionnels et non un algorithme ».
 
L’algorithme en question est un algorithme de matching, qui va permettre de proposer, en fonction de critères définis et affichés clairement par la plateforme (les deux critères principaux sont le domaine du droit et le secteur juridique, auxquels l’entreprise peut choisir d’ajouter deux autres variables : la localisation de l’arbitre et la langue), l'arbitre ou le médiateur le plus pertinent pour tel ou tel dossier. Étant précisé qu’il est possible d’écarter cet algorithme pour choisir directement dans la liste actuelle des cinquante-cinq arbitres et médiateurs proposés par madecision.com : « Le moteur (facultatif) de suggestion des profils de médiateurs/arbitres, souligne Benjamin English, permet essentiellement de suggérer des profils répondant aux critères choisis, tous les CV étant accessibles par ailleurs. C'est techniquement plus une automatisation de la recherche, que de l'IA au sens scientifique ». Par souci de transparence poursuit le responsable du Lab Eurojuris, et « pour répondre à un légitime souci d'information, dans l'arbitrage, même si c'est son avocat, et lui seul, qui conduit la procédure, le client peut accéder à la salle d'audience virtuelle afin de visualiser à tout moment l'état du dossier ».
 
Prochaine étape annoncée par Anne-Sophie Reynaud, « la certification de notre plateforme (un label dont eJust avait proposé la création à la commission des lois de l’Assemblée nationale en juillet dernier), afin d’assurer le respect des règles éthiques, de garantir le respect de la déontologie de la profession d’avocats et de proposer un cadre sécurisé pour les échanges entre des parties opposées ».
 
Prochaine étape, maintenant que la solution est déployée auprès de tous les membres du réseau Eurojuris, un premier bilan…
Source : Actualités du droit