Réforme de la justice : les derniers ajustements connus

Civil - Procédure civile et voies d'exécution
Pénal - Procédure pénale
21/09/2018
Depuis le 18 septembre 2018, professionnels du droit et représentants du ministère dévoilent au compte-goutte les derniers arbitrages rendus sur le projet de loi de réforme de la justice, dont l’examen débutera devant le Sénat le 9 octobre prochain.
Mardi 18 septembre, la garde des Sceaux recevait les représentants de la profession d’avocat pour leur dévoiler ses derniers arbitrages sur le projet de loi de réforme de la justice. Le lendemain, la délégation du ministère – secrétaire général et directeurs d’administration – rencontraient les membres du corps judiciaire de la cour d’appel de Paris, juste avant de boucler à Riom son tour de France des juridictions entamé le 9 mars dernier à Reims. Jeudi 20 septembre enfin, Nicole Belloubet a annoncé lors d’un déplacement au tribunal d’instance de Flers, de nouveaux ajustements sur l’organisation judiciaire. De quoi entretenir un certain suspens… et pas mal de confusion.

Tribunaux d’instance (TI) : fusionnés mais maintenus

« Sur l’instance, la fusion Tribunal de grande instance (TGI)-Tribunal d’instance (TI) n’est en aucun cas remise en cause », a précisé la Direction des affaires civiles et du Sceau (DACS) le 19 septembre. Un point confirmé par la ministre le lendemain : la fusion administrative entre TI et TGI aura bien lieu (voir Ouest France, « Flers. Nicole Belloubet veut "maintenir la justice de proximité», 20 sept. 2018).

En revanche, contrairement à ce que le projet de loi prévoyait, les juges d’instance seront maintenus, a indiqué la délégation du ministère le 19 septembre, à l’issue de sa rencontre avec le corps judiciaire de la cour d’appel de Paris, puis la ministre elle-même à Flers (voir Ouest France, préc.). Le socle de compétences du juge d’instance ne sera donc pas démembré (baux d’habitation, surendettement, crédit à la consommation, etc.), a également assuré la délégation du ministère, avant de préciser qu’aujourd’hui, seule demeure la question du maintien d’un statut du juge d’instance. « Pour les justiciables, il y aura toujours un juge d’instance ou un juge de proximité », il n’y a plus aujourd’hui que des « enjeux statutaires et fonctionnels ».

Le tribunal d’instance devrait donc bien disparaître, mais pas ses juges. Ainsi, si le ministère semble revenir sur ses premiers arbitrages, administrativement il supprime bien une juridiction, au profit d’une chambre détachée du TGI reprenant le socle de compétences du TI, auquel pourront toutefois être ajoutés d’autres contentieux (comme le JAF), selon les précisions de la délégation du ministère.

Quelques avancées au civil, mais toujours des points en suspens

Concernant les plateformes numériques, les représentants des avocats ont obtenu la réécriture de l’article 3 du projet de loi, afin qu’il soit précisé que les plateformes ne pourront pas empiéter sur le périmètre du droit défini par le Titre II de la loi du 31 décembre 1971. Toutefois, le « Conseil national des barreaux (CNB) n’a pas eu accès au texte nouvelle mouture », a indiqué Christiane Féral-Schuhl, sa présidente.

On le savait déjà, la déjudiciarisation des saisies immobilières a été abandonnée par le ministère, qui aurait accepté selon le CNB de reprendre « les propositions formulées par la profession d’avocat pour simplifier la procédure dans l’intérêt des justiciables » (cf. Communiqué CNB, 19 sept. 2018).

D’autres points importants pour les avocats restent également en négociation. Christiane Féral-Schuhl nous a ainsi précisé : « Sur le plan civil, il y a deux demandes en particulier pour lesquelles nous avons des attentes fortes. Concernant la force exécutoire de l’acte d’avocat tout d’abord, mais également la réintroduction de l’avocat dans l’action de groupe. Toujours sur la partie civile, nous négocierons activement l’important paquet réglementaire qui doit accompagner la réforme. Ces négociations avec la Chancellerie n’empêcheront pas notre mobilisation dans le cadre du débat parlementaire pour faire valoir nos positions et propositions d’amendements, notamment dans le domaine pénal, pour lequel nous persistons à penser que les réformes pourraient être plus respectueuses de la défense et des droits des victimes là où il y a toujours un déséquilibre ». Sur ce volet du projet de loi, de nombreuses modifications sont justement attendues par voie d’amendements.

Volet pénal : plus de visioconférence, mais bientôt le PNAT et le tribunal criminel départemental

Le 19 septembre, le CNB a annoncé avoir obtenu gain de cause sur un point qui cristallisait de vives critiques : l’abandon de la possibilité de recourir à la visio-conférence pour le placement initial en détention provisoire (voir notre article du 10 septembre 2018 : « Réforme de la justice pénale : les syndicats dénoncent des économies au prix d’une justice dégradée »), sauf en cas « d’accord, pour raison de santé, risques graves de trouble à l’ordre public ou évasion » a toutefois précisé la Direction des affaires criminelles et des grâces (DACG).

Mais par ailleurs, la création expérimentale du tribunal criminel départemental est maintenue. La DAGC affirme qu’« en termes de fonctionnement et d’objectifs c’est assez partagé par les acteurs, mais moins par les avocats ». Pour preuve, la résolution adoptée par le CNB, réuni en assemblée générale les 14 et 15 septembre, par laquelle il se prononce contre cette expérimentation.

Enfin, Rémy Heitz, directeur des affaires criminelles et des grâces, a confirmé la création de deux juridictions :

– le Parquet national antiterroriste (PNAT) : il devrait comprendre une trentaine de magistrats, auxquels s’ajouteront des référents au sein des parquets des plus grandes juridictions du territoire. Le nombre de parquetiers référents évoluera en fonction, notamment, de l’état de la menace et des foyers de radicalisation. Le champ de compétences du PNAT comprendra les infractions à caractère terroriste, les crimes contre l’Humanité et les atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation, « à l’exclusion de la criminalité organisée » ;

– la Juridiction de l’indemnisation des victimes d’actes terroristes (JIVAT) : cette juridiction unique, parisienne, sera spécialisée et ne traitera que du contentieux de l’indemnisation des victimes. Elle viendra consolider le dispositif actuel du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions (FGTI). L’objectif est d’éviter aux juridictions de l’instruction d’être paralysées par le contentieux de l’indemnisation. Les victimes pourront toujours se porter partie civile à l’instruction, le JIVAT ne sera en charge que de l’indemnisation civile qui pourra ainsi être soldée avant même la tenue du procès pénal.

Même si la DACG affirme que « le volet pénal est relativement consensuel car le gouvernement a beaucoup travaillé sur la base des propositions qui viennent du terrain », les déclarations de certains syndicats (voir notamment, Communiqué SAF, 20 sept. 2018) laissent à penser que de nombreux amendements seront déposés et les débats parlementaires parfois vifs.
Source : Actualités du droit